La
bauxite a été découverte en 1821 par le français Berthier, ingénieur des Mines
professeur à l'Ecole des Mines de Paris. L’orthographe actuelle est due à
H. Sainte-Claire Deville (1861), en référence au
nom du village des Baux-de-Provence.
À l’origine, le terme « bauxite » désigne un
ensemble de roches alumineuses et ferrugineuses analogues à celles qui furent
découvertes aux Baux. Ces roches reposent sur une surface irrégulière, de
morphologie karstique, creusée dans des calcaires ou des dolomies.
Après
sa découverte en Guinée, cette roche fut successivement retrouvée en Guyane par
M. Itier entre 1839 et 1842, et ensuite
clairement identifiée dans toute la ceinture intertropicale. En 1981, G. Bardossy a proposé de distinguer les bauxites de karst
(sur substrat carbonaté) et les bauxites latéritiques (sur substrats alumino-silicatés variés) des régions intertropicales.
Les
réserves mondiales s’élèvent à plus de 20 000 millions de tonnes et la
production annuelle est d’environ 115 millions de tonnes. 85% des réserves se
situent en zone tropicale et font partie des formations latéritiques qui y
occupent de vastes surfaces. En 1995, le plus gros producteur mondial était
l'Australie, avec 37,4 millions de tonnes, devant
L’aluminium
est le 3° élément le plus abondant dans la croûte terrestre, après l’oxygène et
le silicium. Métal très réactif, il n’existe sur Terre que combiné à l’oxygène,
bien évidemment principalement dans les silicates [Si, O, Al]. les bauxites
représentent un des principaux minerais d’origine supergène,
c’est-à-dire formés dans des conditions de surface. La concentration de
l’alumine résulte de la transformation des silicates contenus initialement dans
des roches éruptives (e.g. feldspaths) ou dans les
roche sédimentaires (argiles), en hydroxydes la gibbsite,
la bœhmite, le diaspore, et
en oxyde, le corindon.
La gibbsite, ou hydrargillite, γA1(OH)3,
cristallise dans le système monoclinique et
se présente en petits cristaux (de 2 à 4 microns en moyenne ;
quelquefois visibles à l’œil nu) hexagonaux, souvent maclés. Elle constitue
parfois des sphérolites à cristallisation fibroradiée. La gibbsite est
fréquente dans les bauxites mésozoïques et cénozoïques et, particulièrement,
dans les gîtes latéritiques où elle peut être le seul hydroxyde d’aluminium
individualisé. Dans les bauxites de karst, elle est généralement associée à un
autre hydroxyde d’aluminium.
La bœhmite, γA1O(OH),
également monoclinique, se présente en
cristaux si petits qu’ils ne sont pas identifiables au microscope polarisant.
Ce minéral est déterminé au moyen des techniques physiques de laboratoire
(analyses thermiques différentielle et pondérale, rayons X, etc.). La bœhmite est très abondante dans les bauxites de karst, où
elle peut être seule ou associée à la gibbsite ou à
l’autre monohydrate d’alumine, soit encore aux deux (fait assez rare). Elle est
connue dans les bauxites latéritiques, où il semble qu’elle soit un minéral
secondaire. Dans la bœhmite ferrifère,
le fer pourrait se substituer à l’aluminium dans le rapport 1/1.
Le diaspore, αA1O(OH),
cristallise dans le système
orthorhombique ; la taille des cristaux est intermédiaire entre celle des
cristaux de gibbsite et de bœhmite
(de 2 à 3 microns en moyenne, de 40 à 100 microns au maximum).
L’habitus le plus commun est celui de petites écailles finement engrenées. Le diaspore forme parfois des sortes de concrétions
tubulaires. Dans les bauxites karstiques, le diaspore
est souvent associé à la bœhmite. Accompagné du
corindon, c’est un minéral de métamorphisme des bauxites.
Le corindon, αA12O3,
cristallise dans le système hexagonal. Il a
longtemps été considéré uniquement comme un minéral de métamorphisme des
bauxites (« émeris » de Grèce, du Salaïr),
où il pseudomorphose des cristaux de diaspore ou bien se présente en petits cristaux
prismatiques. Il a été reconnu, depuis, dans les bauxites de karst non
métamorphisées comme minéral détritique et comme minéral authigène en
association avec la gibbsite en petites masses
pierreuses cryptocristallines.
Associés
aux minéraux d’aluminium, les bauxites contiennent de nombreuses autres phases
minérales supergènes :
Les Hydroxydes et oxydes de fer
sont les plus fréquents sont la gœthite αFeO(OH), abondante
dans les gîtes à gibbsite, et l’hématite αFe2O3
qui est le minéral ferrugineux le plus important des bauxites à diaspore et à bœhmite. On connaît
encore : la magnétite, Fe3O4, dans les bauxites
métamorphiques notamment ; la maghémite, γFe2O3, qui dérive de la
magnétite par oxydation ; l’hydrohématite et l’hydrogœthite.
Les Minéraux du titane
sont représentées dans les
bauxites par le rutile, l’anatase, la brookite,
formes différentes de TiO2. On signale aussi de faibles quantités de
sphène (SiO4CaTiO) et titanomagnétite
(Fe3O4, TiO2).
Les Minéraux argileux
contiennent
l’essentiel de la silice décelée dans les analyses chimiques des
bauxites ; on y trouve surtout les phyllites du
groupe de la kaoliniteAl4Si4O10(OH)8,
très répandus dans les gîtes à bœhmite et gibbsite. Il arrive même que ce soit le minéral prédominant
de ces gîtes. La dickite et la nacrite,
minéraux de la famille de la kaolinite, sont exceptionnelles dans les bauxites.
La couleur des bauxites varie du blanc-jaune
au gris en passant par le rouge et le brun, en fonction de leur teneur en
oxydes de fer et en impuretés.
Les bauxites se
présentent tantôt comme des roches indurées, rouges, brunes, grises ou vertes
(France, Grèce, Inde, ex-U.R.S.S.), tantôt comme de
la poudre rouge à ocre (Jamaïque), ou encore comme un agglomérat de petites
concrétions noyées dans un fond argileux (Hawaii).La présence de fer conduit
souvent à une induration de la roche.
Les bauxites
montrent des textures très diversifiées : aphanitique, noduleuse, bréchique, conglomératique, et des textures oolitiques et
pisolitiques très caractéristiques.
Les bauxites karstiques
Les bauxites de
karst reposent sur un mur toujours calcaire ou dolomitique ; elles
sont souvent scellées dans leur gîte par des assises sédimentaires qui
constituent leur toit.
Elles apparaissent
à différents niveaux stratigraphiques en divers points du globe ; ainsi
connaît-on des bauxites sur du Cambrien en Sibérie, sur du Silurien dans
l’Oural, sur du Dévonien dans l’Oural et dans le Salaïr,
sur du Carbonifère aux États-Unis, sur du Trias en Hongrie, en Grèce, au
Monténégro, sur du Jurassique en Inde, en France, sur du Crétacé inférieur en
France, sur du Crétacé supérieur en Yougoslavie, sur de l’Éocène à
Dans une même
région, les bauxites karstiques reposent sur une « surface » qui peut
entamer des niveaux d’âge différent, et témoigne d’une émersion suivie d’une
phase érosive. En Provence, par exemple, la bauxite se trouve aussi bien sur le
Crétacé inférieur que sur le Jurassique moyen. Sur cette « surface »,
la bauxite occupe des gîtes particuliers. Parfois elle comble des dépressions
de vaste extension horizontale, sortes de cuvettes peu profondes dont le
« fond » présente une morphologie irrégulière, très déchiquetée dans
le détail, hérissée de pitons et de seuils qui délimitent, au sein de la
cuvette, des lentilles plus ou moins vastes. Dans ces gisements, la bauxite
apparaît comme une couche dont l’épaisseur dépasse rarement la dizaine de
mètres. Telle est, en Provence, la cuvette de Mazaugues,
d’allongement est-ouest, de plus de 30 km de long sur quelques kilomètres
de large. Parfois elle remplit des poches plus ou moins isolées les unes des
autres, circulaires ou elliptiques, profondément karstifiées,
qui peuvent dépasser 50 m de profondeur mais d’extension latérale limitée
(de quelques mètres à une centaine de mètres).
Les bauxites de
karst sont souvent recouvertes par un toit qui peut être de nature, d’âge et
d’origine diverses. Ce toit gêne l’exploitation des bauxites de karst : il
oblige soit à extraire la bauxite en exploitation souterraine, soit à déblayer
une puissance parfois importante de morts-terrains,
lors d’exploitation en carrière.
Les paragenèses minérales les plus fréquentes des bauxites de
karst sont : bœhmite-gibbsite, bœhmite, bœhmite-diaspore, diaspore. Les gîtes à gibbsite
seule sont très rares.
Les bauxites latéritiques
Pour l’essentiel,
les bauxites latéritiques ont une répartition chronostratigraphique
plus limitée que les bauxites de karst, mais toutes ne sont pas Quaternaire. Il
semble que nombre d’entre elles soient fossiles et aient pris naissance au
Crétacé, au Tertiaire ; il existe aussi des bauxites latéritiques plus
anciennes, telles les bauxites russes de Bielgorod, carbonifères (G. Bardossy, 1981).
Les bauxites
latéritiques reposent sur des roches silico-alumineuses
de nature variée, mais généralement pauvres en silice, dont elles
dérivent : syénites néphéliniques en Guinée (îles
de Los), dans l’Arkansas ; basaltes ou dolérites, en Allemagne (Vogelsberg),
en Irlande (Antrim), en Inde (trapps du Deccan), au
Cameroun (Adamaoua) ; trachytes et andésites en Malaisie (Johore,
Sarawak) ; schistes sédimentaires ou métamorphiques dans les Guyanes, en
Guinée (Kindia), au Ghana ; grès arkosiques en Australie (Queensland),
etc.
À part quelques
rares exceptions (Arkansas, Inde, Russie), elles n’ont pas de toit. Ce
caractère facilite l’exploitation et compense un peu le fait que ces bauxites
se rencontrent dans des régions tropicales d’accès souvent difficile. Il existe
toutefois des dépôts de bauxites, inter-stratifiés
dans d’autres sédiments, qui résultent du colluvionnement de bauxites
latéritiques (Arkansas, Russie). Dans la classification de G. Bardossy (1981), ces bauxites sont rattachées à un type
particulier, qualifié de type Tikhvin,
gisement de la partie nord-ouest de la plate-forme russe. Dans les gisements de
cette catégorie, la bauxitisation s’est faite in situ, mais les roches mères
sont des latérites détritiques, allochtones.
La gibbsite est le minéral essentiel des bauxites
latéritiques, où la bœhmite peut intervenir
localement. Le diaspore est connu, mais exceptionnel
(Inde).
Les bauxites latéritiques
sont un produit
d’altération continentale, d’ordre pédogénétique,
sous l’influence des climats agressifs connus actuellement dans la zone
intertropicale. Les latérites peuvent couvrir de larges surfaces
en formant une écorce d’altération d’épaisseur à peu près constante.
Elles
se localisent préférentiellement sur des surfaces suffisamment élevées
au-dessus du niveau phréatique, au moment de leur formation, pour permettre un
drainage excellent qui favorise une meilleure attaque de la roche mère. En outre, un climat avec des alternances de saisons sèches et humides est essentiel car un climat
seulement humide mène à la formation de kaolinite.
Presque toutes
les roches contiennent des minéraux contenant de l'Al. Les bauxites peuvent se former à partir de roches
ignées felsiques, des calcaires argileux, des roches
clastiques argileuses. La roche doit être perméable (fracture, porosité)
pour permettre la circulation de l'eau. Le passage du protolithe
volcanique ou plutonique à une bauxite poreuse et friable est graduel, et la
texture ignée est parfois préservée.
la structure des
minéraux alumino-silicatés est détruite et les
éléments comme Si, Na, K, Ca sont lessivés,
laissant un résidu riche en Al. Un climat tropical humide est essentiel. Une température >20°C favorise la
solubilité de SiO2. G. Millot fut le premier à
distinguer une bauxitisation directe et une bauxitisation indirecte.
Dans
le cas de la bauxitisation directe, les hydrolyses des minéraux parentaux (i.e de la roche mère) sont si poussées que gibbsite et gœthite se forment
dès le front d’altération, tous les autres éléments, y compris la silice, étant
évacués; la bauxite ainsi obtenue conserve les textures et les structures de la
roche mère, elle est dite isaltéritique, et se
développe tout particulièrement aux altitudes élevées (haut plateaux)
Dans
le cas de la bauxitisation indirecte, c’est la kaolinite qui se forme au front
d’altération; lorsque la kaolinite s’altère à son tour par la perte de sa
silice (désilicification) pour engendrer de la gibbsite, les structures de la roche mère, si elles
subsistent encore, sont effacées; la bauxite ainsi formée est dite allotéritiques. Il semble que ce type se développe bien en
région de pénéplaine en environnement de côtes tropicales.
Ces deux
mécanismes conduisent à la formation d'horizons alumineux appelés
"bauxites originelles". Ultérieurement celles-ci peuvent être le
siège de transformations structurales, minéralogiques et géochimiques
aboutissant à la formation de "bauxites dérivées" pseudo-bréchiques,
nodulaires ou pisolitiques. Au cours de ces transformations, de nouvelles
accumulations se forment, selon la nature des transferts chimiques. Ainsi la déferruginisation conduit à la formation de bauxites
pisolitiques blanches à bœhmite, puis de bauxites saccharoïdes
à gibbsite.
Les grandes
quantités de fer accumulées conjointement à l'alumine au cours de la formation
des bauxites originelles sont libérées et migrent vers les bas-fonds pour
constituer les futures cuirasses argilo-ferrugineuses
des reliefs intermédiaires. Des resilicifications
peuvent également intervenir, donnant naissance à de nouveaux faciès de
kaolinites. Ces diverses accumulations se succèdent en fonction des paramètres
climatiques (température, humidité, végétation) et topographiques (pente,
drainage) au cours d’une longue évolution à dominante géochimique.
A tout moment
cette évolution peut être stoppée par une brusque variation du relief ou du
climat, entraînant un déséquilibre mécanique des profils. Il s’ensuit un
épandage en piémonts des produits résiduels (bauxitiques, argileux,
ferrugineux) qui pourront à leur tour subir des altérations et des
cuirassements (laterites transportées, e.g. laterites nikelifères de Nouvelle Calédonie)
En résumé, Il est admis que la plupart des
bauxites latéritiques se sont formées à l’endroit où on les trouve
actuellement. Elles représentent un produit d’évolution pédogénétique
particulier de roches silico-alumineuses, sous un
climat chaud et humide. Sous ce climat, et pourvu que certaines conditions
soient remplies – bon drainage, notamment – il se produit une
hydrolyse intense des silicates de la roche mère. Les alcalins, les
alcalino-terreux, la silice sont éliminés, tandis que l’aluminium, le fer, le
titane se concentrent par accumulation relative. Les bauxites latéritiques
ainsi formées peuvent bénéficier d’un enrichissement relatif supplémentaire en
alumine par une élimination secondaire du fer. Elles peuvent, en outre, être
enrichies de manière absolue par importation d’alumine des horizons supérieurs.
Si le mode de formation des bauxites
latéritiques est aujourd’hui pour l’essentiel bien connu, il n’en est pas de
même de la genèse des bauxites karstiques, dont l’interprétation suscite encore
bien des hypothèses et des controverses. Cela tient au fait qu’on a tenté de
mettre en parallèle, ou au contraire d’opposer sans nuance, les deux modes de
formation.
De nombreux auteurs ont tenté de transposer
le mode de formation des bauxites latéritiques aux bauxites de karst. Ils ont
supposé qu’elles étaient également autochtones. Les bauxites de karst se
seraient développées sur place, à partir d’une argile, la « terra
rossa », libérée au cours de la décalcification des calcaires sur lesquelles
elles reposent. C’est l’hypothèse de l’autochtonie absolue proposée par
G. Dolfuss en 1904 et reprise par J. de Lapparent en
1930. Cependant, devant la difficulté d’admettre l’énorme volume de calcaires
dont la dissolution est nécessaire pour engendrer une quantité suffisante Les
auteurs font encore appel à la décalcification, mais envisagent une
accumulation dans les pièges karstiques après un faible transport.
D’une manière très générale, la latéritisation se produit dans pratiquement toutes les régions tropicales, quel que soit le substrat. Elle se développe certes essentiellement sur des roches cristallines feldspathiques (e.g. granite gneiss, syenite et diorite), mais elle apparaît aussi sur les basaltes du Deccan, sur des micaschistes, voire même sur des grès ou des quartzites, et les calcaires ne sont pas exemptés : en Inde la latérite calcareuse à blocs concrétionnés est appelée kankar et sert de liant hydraulique dans la construction. Une latérite similaire est reconnue dans l’est africain Il semble que dans les régions les plus humides, le carbonate est dissout et évacué par les eaux de percolation, alors que le kankar, ou la latérite calcareuse se forment dans les régions à plus faible pluviosité.
En résumé, les bauxites karstiques résultent donc bien elles aussi d’un processus de latéritisation, mais sur un substrat calcaire, ce qui explique leur relative autochtonie, et dans des conditions d’hydrolyse un peu différente, avec un climat un peu plus méditerranéen.