CHAPITRE 4

Les enveloppes rocheuses de la Terre

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B - Le couplage Noyau-Manteau-Atmosphère et la couche D"

Les modes de couplage du noyau avec du manteau représentent donc un paramètre clef de la compréhension de la machine Terre. Des variations dans le transfert de l’énergie du noyau au manteau, mais aussi du manteau à l’atmosphère vont ainsi se traduire par des échanges de moment angulaire entre ces sphères concentriques, et finalement se traduire par des variations de la durée du jour terrestre. Mais celles-ci sont complexes.

Au lieu de 365 jours, l'année terrestre comptait 425 Jours au Dévonien, il y a environ 400 Ma. Ce ralentissement de la rotation terrestre est dû en bonne partie aux marées océaniques, qui freinent la Terre par le biais du frottement au fond des mers peu profondes, et pour partie aussi aux marées terrestres. L'application du principe de conservation du moment angulaire au couple Terre-Lune impose que le ralentissement de la Terre augmente la distance Terre-Lune de quelques cm/an actuellement. En dehors de cette tendance lourde, on observe avec les horloges modernes très précises des variations saisonnières[1], mensuelles ou journalières qui sont elles aussi attribuables en partie à des échanges de moment angulaire entre atmosphère et manteau.

Il est intéressant de noter que les variations pluri décennales de la longueur du jour apparaissent étroitement corrélées cette fois avec la variation séculaire de la déclinaison du champ magnétique, mais avec un décalage de 10 ans environ. Le mode de couplage entre noyau et manteau n'est pas encore clairement établi, mais on sait au moins que compte tenu de la différence de viscosité entre noyau et manteau, le couplage visqueux ne peut pas être efficace. Reste le couplage électromagnétique par des courants de fuite dans le manteau. Ils produiraient alors un champ secondaire, comme dans le moteur électrique de Glatzmaier et Roberts. Mais le manteau qui est essentiellement silicaté peut-il être suffisamment conducteur ? L’observation en surface de soubresauts magnétiques trouvant leur origine dans le noyau impose une conductivité maximale de 10 siemens/m au manteau, il n’est donc pas a priori un bon stator. Par contre, sa base dénommée[2] couche D" (Fig. 8 a-b), est de nature très différente et représente un excellent candidat potentiel pour un tel couplage.

Zone de Texte: Fig. 8 : a) interface réactionelle entre manteau et noyau ;                         b) altimétrie de la surface du noyau

1 - Nature de la couche D"

Cette couche D" est identifiée par la séismologie comme une région très hétérogène et discontinue, formant la base du manteau quand elle est présente (Fig. 8a-b). Elle apparaît solide mais à vitesse lente, à forte densité, et elle donne des rais sismiques spécifiques, qui émergent dans la zone d'ombre entre 103 et 120°. Son épaisseur ne dépasse pas quelques dizaines de Km, exceptionnellement 200-300Km, et sa topographie est tourmentée, avec des écarts de plus de 100 Km pour 10° d’angle. L'existence de ces hétérogénéités à la base du manteau est connue depuis une quinzaine d'années, mais leur localisation exacte reste imprécise. Selon les hypothèses, les caractéristiques physiques globales de la couche D" ont trois origines possibles :

1 -     elles peuvent être liées à la convection du manteau ;

2 -     elles sont un héritage de plaques lithosphériques plongeantes provenant de la surface ;

3 -     elles résultent d'une contamination du manteau par le fer du noyau.

Zone de Texte: Fig. 8c : structure de la couche D" ; 				Laterally varying S-wave velocities at ~2700 km depth in the mantle
Labeled subregions: areas where an S-wave velocity discontinuity has been observed a few hundred kilometers above the core-mantle boundary (CMB)
http://www.mantleplumes.org/DDub.html
     
http://bowfell.geol.ucl.ac.uk/~lidunka/GlobalGeophysics/Geophysics7%20-%20Deep%20Earth/Earth%20Structure.htm

La partie basale de la couche D", appelée Ultra Low Velocity Zone montre, outre des vitesses très lentes pouvant résulter de la fusion partielles de l’interface manteau-noyau (Fig. 8c), de fortes incohérences entre ondes P et S, qui ne peuvent être d'origine purement thermique. Elles peuvent par contre témoigner d'hétérogénéités chimiques (présence de plusieurs types de matériaux). Cette couche fine fortement incohérente à la base de la couche D" pourrait être le produit de l'interaction chimique entre le fer liquide du noyau et le manteau silicaté. L’interface noyau‑manteau pourrait donc être une région de la Terre extrêmement active. Il s’y produirait une réaction de dissolution-recristallisation entre les roches du manteau et le noyau externe liquide, laissant un dépôt (solide) riche en métal à la surface du noyau. Les expériences au laboratoire montrent que le fer en fusion pénètre la roche silicatée par capillarité dans les joints des grains minéraux. Dans la zone mouillée par le fer, les oxydes de fer du manteau semblent se dissoudre partiellement dans le fer liquide, augmentant ainsi la fraction oxygène du noyau. Ces échanges chimiques pourraient contribuer à fabriquer une pellicule (liquide?) enrichie en Magnésium et en Oxygène dans le noyau au voisinage du contact avec le manteau. Cette réaction lente de dissolution serait rendue possible par un changement du type de liaison de l’oxygène sous très haute pression, qui tend alors à former des alliages métalliques conducteurs, au lieu des traditionnels silicates isolants. Quelle serait l’ampleur de ce phénomène dans la couche D"? Probablement quelques dizaines de mètres, quelques centaines au mieux ! En effet, la transmission des soubresauts magnétiques suggère que la partie basale conductrice du manteau ne dépasse pas une épaisseur de quelques x100 m au plus. Par conséquent, cette imprégnation seule ne peut expliquer les 200 ou 300 Km atteints par cette couche D". Les mouvements de convection à la base du manteau tendraient localement à rassembler ces dépôts conducteurs dans les ascendants (Fig. 8) ou inversement à les disperser dans les descendants. Ils constitueraient ainsi une couche discontinue plus ou moins enrichie en matériau mantellique.

La couche D" serait alors un mélange constitué pour partie de matériaux issus du manteau[3] et pour partie de fer métal issu du noyau. Les lithosidérites (pallasites) sont de bons analogues possibles de cette région du globe. Un tel mélange, bon conducteur, est à la fois capable de couplage électromagnétique avec le noyau, et d’un transport de chaleur beaucoup plus important que le manteau ordinaire.

2 - Couche D", accumulateur de chaleur

Zone de Texte: Fig. 9 : schéma de couplage noyau-manteau, la couche D"
 
Les estimations du flux de chaleur à la frontière Noyau-Manteau sont très diverses, de 1.7  à 10 T.Watts. La valeur la plus faible était proposée par Stacey & Loper (1984) afin d'avoir un noyau qui ne se refroidit pas trop vite et ainsi obtenir une graine (supposée indispensable au fonctionnement du magnétisme terrestre) âgée au minimum de 4 Ga. L'interface noyau-manteau représente une couche limite entre la convection mantellique et la convection du noyau. La couche D" ne peut donc échanger de chaleur que par conduction, et elle doit être le siège d’un gradient de température élevé. Un tel gradient peut provoquer des instabilités d’autant plus variées que la couche D" présente de fortes hétérogénéités de conduction. Cette région du globe jouerait alors un rôle clef dans la stabilité de la dynamo terrestre (chp. 3), mais aussi dans la convection du manteau inférieur. En effet, les zones de mélange enrichi en fer (en rouge dans la figure 8c), en constituant de véritables accumulateurs de chaleur à la base du manteau, pourraient engendrer la montée de panaches de matière surchauffée (Fig. 8-9). S’ils sont constitués de matériau de la couche D" de tels panaches seront beaucoup plus denses que le manteau silicaté environnant et ne pourront pas s’élever considérablement. Ils rejoindront rapidement la couche D". On observe un autre indice de surchauffe à la base du manteau. Il s’agit de poches de 40 Km environ que l'on ne retrouve nulle part ailleurs dans le manteau, dans lesquelles les vitesses des ondes sismiques sont localement réduites d'au moins 10 %. Elles ne sont explicables actuellement qu’en invoquant une fusion locale et massive.

Ces poches pourraient déclencher un panache mantellique, sorte de colonne de matériau surchauffé, qui amorcerait une traversée complète du manteau en quelques dizaines de millions d'années seulement. chaque panache viendrait nourrir un volcanisme ponctuel et fixe dans l’espace (appelé volcanisme de point chaud) mais pouvant durer des dizaines de Millions d’années. Ce volcanisme est donc complètement indépendant des mouvements superficiels qui affectent la lithosphère terrestre. Il présente en outre des caractères chimiques très particuliers, facilement identifiables par rapport aux autres manifestations volcaniques. Par deux fois dans l’histoire de la Terre, des super-panaches ont donné un volcanisme d’une intensité considérablement supérieure au rythme habituel, produisant en quelques x100 000 ans un volume de lave énorme, de l'ordre du million de km3. Il s’agit des trapps de Sibérie, épanchés à la fin du Permien, et des trapps du Deccan en Indes, mis en place à la limite Crétacé-Tertiaire. Ces deux épisodes volcaniques suivent précisément les deux longues périodes de magnétisme sans inversion, suggérant fortement un fonctionnement conjoint du magnétisme dans le noyau, du transfert de chaleur du noyau dans le manteau et des panaches qui quittent la couche D". On tient peut-être là l’explication de certains phénomènes géologiques d'ampleur exceptionnelle comme les fameuses éruptions de komatiites, laves anormalement chaudes qui s'épanchèrent voici plusieurs milliards d'années, sur plusieurs millions de kilomètres carrés?

Les modes de couplage du noyau avec du manteau représentent donc un paramètre clef de la compréhension de la machine Terre. Des variations dans le transfert de l’énergie du noyau au manteau, mais aussi du manteau à l’atmosphère vont ainsi se traduire par des échanges de moment angulaire entre ces sphères concentriques, et finalement se traduire par des variations de la durée du jour terrestre. Mais celles-ci sont complexes.

Au lieu de 365 jours, l'année terrestre comptait 425 Jours au Dévonien, il y a environ 400 Ma. Ce ralentissement de la rotation terrestre est due en bonne partie aux marées océaniques, qui freinent la Terre par le biais du frottement au fond des mers peu profondes, et pour partie aussi aux marées terrestres. L'application du principe de conservation du moment angulaire au couple Terre-Lune impose que le ralentissement de la Terre augmente la distance Terre-Lune de quelques cm/an actuellement. En dehors de cette tendance lourde, on observe avec les horloges modernes très précises des variations saisonnières[4], mensuelles ou journalières qui sont elles aussi attribuables en partie à des échanges de moment angulaire entre atmosphère et manteau.

Il est intéressant de noter que les variations pluri‑décennales de la longueur du jour apparaissent étroitement corrélées cette fois avec la variation séculaire de la déclinaison du champ magnétique, mais avec un décalage de 10 ans environ. Le mode de couplage entre noyau et manteau n'est pas encore clairement établi, mais on sait au moins que compte tenu de la différence de viscosité entre noyau et manteau, le couplage visqueux ne peut pas être efficace. Reste le couplage électromagnétique par des courants de fuite dans le manteau. Ils produiraient alors un champ secondaire, comme dans le moteur électrique de Glatzmaier et Roberts. Mais le manteau qui est essentiellement silicaté peut-il être suffisamment conducteur ? L’observation en surface de soubresauts magnétiques trouvant leur origine dans le noyau impose une conductivité maximale de 10 siemens/m au manteau, il n’est donc pas a priori un bon stator. Par contre, sa base dénommée[5] couche D» (Fig. 8), est de nature très différente et représente un excellent candidat potentiel pour un tel couplage.

 

 

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[1] Les variations saisonnières apparaissent ainsi étroitement corrélées aux vents zonaux (alizés, vents d'ouest).

[2]. La terminologie utilisée (couche D") est un héritage historique du début du XX° siècle qui découpait la Terre en couches A, B, C, D, E, F. Seule D" est toujours usitée par les géophysiciens.

[3] Le manteau inférieur serait constitué de silicates (perovskite) et d'oxyde de magnésium (magnésio-wüstite, MgO),

[4] Les variations saisonnières apparaissent ainsi étroitement corrélées aux vents zonaux (alizés, vents d'ouest).

[5]. La terminologie utilisée (couche D") est un héritage historique du début du XX° siècle qui découpait la Terre en couches A, B, C, D, E, F. Seule D" est toujours usitée par les géophysiciens.